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Catherine des grands chemins - Бенцони Жюльетта - Страница 37
Tandis que le faux moine et le faux ecuyer allaient attacher leurs chevaux au montoir du « Pressoir Royal », Tristan s'engagea resolument sur le pont et disparut bientot aux yeux de ses compagnes.
La petite auberge etait vide et l'aubergiste s'empressa de servir ses hotes inattendus. Il avait encore des cochons au saloir et put leur servir une soupe aux choux qui, escortee du fameux vin, fit un repas des plus convenables. On etait au milieu du jour et les deux femmes, qui avaient voyage pendant plus de trois jours, etaient affamees.
Restaurees convenablement, elles se sentirent mieux et Sara vit les choses sous un jour plus optimiste.
Tristan revint quand le jour tomba. Il semblait las, soucieux, mais il y avait dans ses yeux bleus une lueur encourageante. Il refusa de parler avant d'avoir avale un pichet de vin parce que, dit-il, son « gosier etait sec comme de l'etoupe et qu'il suffirait de la moindre flamme pour l'incendier». Devoree d'impatience, Catherine le regardait avaler son vin, mais elle n'y tint pas longtemps.
— Alors ? fit-elle nerveusement.
Tristan reposa son pichet, s'essuya les levres a sa manche et lui jeta un regard moqueur.
— Vous etes si pressee de vous jeter dans la gueule du loup ?
— Tres pressee, fit la jeune femme sechement. Et je veux une reponse.
— Alors, soyez contente, tout est arrange. Dans un sens, vous avez de la chance... mais dans un sens seulement car, le moins que l'on puisse dire, est que les relations entre le chateau et le camp des Tziganes sont assez tendues.
— D'abord, intervint Sara, ces Tziganes, que sont- ils ? Avez-vous pense a vous informer ?
— Vous allez etre satisfaite, et la encore vous avez de la chance.
Ce sont des Kalderas. Ils se disent chretiens et pretendent detenir un bref du pape Martin V, mort voici deux ans. Ce qui n'empeche pas leur chef, Fero, de se dire duc d'Egypte.
Tandis qu'il parlait, le visage de Sara s'eclairait. Quand il eut fini elle frappa joyeusement dans ses mains.
— Ils sont de ma race. Des lors, je suis certaine de leur accueil.
— Vous serez, en effet, bien accueillie. Seul, le chef sait la verite en ce qui concerne dame Catherine. Pour tous les autres, elle passera pour votre niece, vendue elle aussi comme esclave quand elle etait enfant.
— Et, dit Catherine, que pense le chef de mes projets ?
Le front de Tristan l'Hermite se rembrunit.
Il vous aidera de tout son pouvoir, la haine le brule. Le caprice de La Tremoille lui interdit de quitter les fosses du chateau ou il est campe, parce que le chambellan aime les danses des filles de sa tribu. Mais, d'autre part, l'un de ses hommes a ete pris hier a voler dans un courtil et pendu ce matin. S'il ne craignait de voir exterminer les siens sur le grand chemin, Fero s'enfuirait. Voila pourquoi je dis que vous avez de la chance dans une certaine mesure, mais que, d'autre part, vous allez mettre le pied dans un veritable chaudron de sorcieres."
— Qu'importe ? Il faut que j'y aille.
— Le temps est encore froid, il vous faudra aller pieds nus, coucher a la belle etoile ou dans un mauvais chariot, vivre rudement et...
Catherine lui eclata de rire au nez, si brusquement qu'elle lui coupa la parole.
— Ne soyez pas stupide, messire Tristan. Si vous connaissiez ma vie dans ses details, vous sauriez que je ne crains rien de tout cela.
Assez tergiverse. Preparons- nous !
L'aubergiste paye, les trois complices sortirent, se dirigerent vers le pont. Depuis deux jours, le temps s'adoucissait et la nuit, si elle etait humide, n'etait pas froide. Catherine rejeta son camail sur ses epaules, liberant ses nattes qu'elle secoua ; son humeur batailleuse lui revenait.
Le silence n'etait trouble que par le bruit soyeux de l'eau dans les hautes herbes et le pas des chevaux. Une bonne odeur de terre mouillee emplissait les narines de Catherine qui prit deux ou trois grandes respirations. Le pont aboutissait d'abord a une longue ile boisee ou cependant brillait une faible lumiere. Dans la journee, la jeune femme avait pu remarquer la petite chapelle Saint-Jean et l'ermitage qui s'y appuyait. Ce devait etre la chandelle de l'ermite. L'ile traversee, un nouveau pont menait au pied meme du chateau et, cette fois, Catherine put voir, sur le rocher, les reflets de feux allumes dans les fosses ; le camp des Tziganes etait encore en pleine activite.
Sur les tours et les chemins de ronde, parfois, une torche passait comme une etoile filante, portee par un sergent faisant sa tournee d'inspection et, a mesure que l'on approchait, on pouvait entendre le cri des guetteurs, se repondant d'une tour a l'autre. De la petite ville d'Amboise, enfermee dans ses remparts a l'ombre de l'eperon rocheux, Catherine devinait seulement la silhouette qui devait s'etirer vers le sud, le long de l'Amasse. Par-dessus le tout, le ciel tache de nuages avait des paleurs qui annoncaient la lune.
Au bord du fosse, les trois cavaliers s'arreterent et Catherine, les yeux agrandis, se crut un instant au bord de l'enfer. Un feu flambait au milieu du campement et, autour de ce feu, toute la tribu etait assise a meme le sol, dans une bizarre immobilite, mais, de toutes les bouches fermees, s'echappait une sorte de plainte melodique, monotone et sourde a laquelle repondait, par instants, le ronflement des peaux d'ane sous les doigts secs des hommes.
Les flammes rouges dansaient sur les peaux cuivrees dont certaines portaient des tatouages. Les femmes, vetues de haillons, avaient d'epais cheveux noirs, gras et luisants, des levres pour la plupart charnues, de minces nez aquilins, des yeux de braise, meme les vieilles dont la peau montrait plus de plis qu'un vieux parchemin.
Certaines etaient belles ainsi que le montraient largement les grossieres chemises, mal attachees, qu'elles portaient. Les hommes etaient effrayants. Deguenilles, crasseux, ils avaient des cheveux crepus, laineux, de longues moustaches sous lesquelles brillaient des dents tres blanches. Ils se coiffaient de chapeaux en loques ou de casques bosseles, ramasses au hasard des chemins ou des cadavres.
Tous portaient aux oreilles de lourds anneaux d'argent. Ces faces immobiles, ces yeux a l'eclat dangereux fixes au c?ur ardent du feu, cette plainte qui ne cessait pas, tout cela fit courir un frisson sous la peau de Catherine. Elle chercha le regard de Sara et, comme elle allait parler, la bohemienne posa vivement son doigt sur ses levres
— Il ne faut rien dire, chuchota-t-elle, si bas que la jeune femme l'entendit a peine. Pas maintenant. Ni bouger.
— Pourquoi ? demanda Tristan.
— Ceci est un rite funebre. Ils attendent sans doute le corps de l'homme qui a ete pendu ce matin.
En effet, venant du chateau, une petite procession descendait vers le camp. Un homme grand et maigre ouvrait la marche, portant une torche pour eclairer ses quatre compagnons sur les epaules desquels reposait un corps inerte. L'homme, sur qui tombait d'aplomb la lumiere, etait vetu de chausses collantes, ecarlates, et d'un pourpoint de meme nuance, abondamment tache et dechire, mais qui montrait encore des traces de broderie d'or. Les lacets rompus du pourpoint l'ouvraient largement, decouvrant jusqu'a la taille une poitrine brune dont les muscles luisants denoncaient la force. L'homme etait jeune et de mine arrogante. Quant a la longue et mince moustache noire qui encadrait ses fortes levres rouges, elle accentuait encore leur pli cruel tandis que les yeux sombres s'etiraient vers les tempes, denoncant le sang asiatique. Les cheveux epais, a travers lesquels on voyait briller les anneaux, d'argent des oreilles, tombaient jusque sur les epaules.
— C'est Fero, le chef, souffla Tristan l'Hermite.
La melopee funebre s'arreta quand les porteurs deposerent le cadavre devant le feu. Les bohemiens s'etaient leves et, seules, quelques femmes vinrent se placer, a genoux, autour de l'homme mort. L'une d'elles, si vieille et si ridee que sa peau paraissait coller a son squelette, se mit a chanter, d'une voix abominablement cassee ; une sorte de chant plaintif ou le fil melodique se brisait continuellement. Une autre, jeune et vigoureuse celle-la, le reprit quand la vieille s'arreta.
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