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Aline Et Valcour Ou Le Roman Philosophique – Tome I
de Sade Marquis Alphonse Francois
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Aline Et Valcour Ou Le Roman Philosophique – Tome I - de Sade Marquis Alphonse Francois - Страница 20
Je te laisse à penser quel est l'état de madame de Blamont, cependant il fallait prendre un parti, relativement à cette femme; elle ne pouvait ni la garder ni la faire voir à Sophie; elle lui a proposé de chercher une maison à Orléans, de la défrayer de tout, jusqu'à ce qu'elle l'eût trouvée, avec une gratification de vingt-cinq louis, payable sur-le champ. La Dubois enchantée a comblé madame de Blamont de remercimens. Saint-Paul est parti dès le même soir pour la conduire à Orléans, où elle a été placée peu après.
Tu conçois aisément, mon cher Valcour, sur quel être se sont aussi-tôt tournés les premiers transports de madame de Blamont? elle pouvait à peine terminer ce qui regardait la Dubois; elle brûlait d'être auprès de Sophie… O toi! dont la mort m'avait coûté tant de larmes, s'est-elle écriée, en se précipitant dans les bras de cette intéressante créature… Tu m'es rendue! ma chère fille,… et dans quel état, grand Dieu!-Vous ma mère!… Oh madame! est-il vrai,…-Aline, partage ma joie… embrasse ta soeur,… le ciel me la rend;… elle me fut enlevée au berceau,… et par qui? rien ne peut exprimer ce que j'éprouve.-Mon ami, je ne le peindrai point sa situation;… elle était du plus vif intérêt, madame de Senneval, Eugénie et moi, nous mêlâmes nos larmes à celle de cette charmante famille, et le reste de la journée fut consacré à jouir d'un événement si peu attendu, et qui présentait tant de charmes à une mère aussi tendre.
Je ne tardai pas à faire observer, à madame de Blamont, toutes les armes qu'un pareil événement nous fournissait contre les prétentions odieuses et illégitimes du président; elle le sentit, mais elle vit en même-tems que nos démarches exigeaient du mistère et les ménagemens les plus délicats… Qui pouvait empêcher monsieur de Blamont de traiter tout ceci de chimère? Était-il supposable qu'il reconnaîtrait Sophie pour enfant légitime? probable même qu'il eût seulement l'air de la connaître? et quelles preuves, madame de Blamont se trouvaient-elles alors, pour le convaincre? La mort de sa petite fille, baptisée sous le nom de Claire , était constatée. Monsieur de Blamont s'était muni d'une belle et bonne attestation du curé, et il y avait eu un service de fait au prétendu enfant mort; la nourrice qui s'était prêtée à tout, avait placé vraisemblablement une bûche dans la bierre, enterrée au lieu de l'enfant; pendant que Claire , sous le nom de Sophie , était transportée chez Isabeau par le président même,… et d'ailleurs trouveraient-on la nourrice du Pré-Saint-Gervais? à supposer qu'on la retrouva, avouerait-elle son crime? tout cela multipliait les difficultés, faisait chanceler les droits de madame de Blamont; car, si elle n'avait pas dans Claire , (existante sous le nom de Sophie , que nous continuerons de lui donner) une arme puissante contre son époux; celui-ci retournant aussi-tôt les choses, s'en trouvait une très forte contre sa femme; dès ce moment Sophie ne devenait plus qu'une malheureuse bâtarde, dont il avait eu tous les soins qu'il devait avoir, et que madame de Blamont avait séduite, entraînée chez elle, pour se donner un prétexte à chercher des torts à son mari, à lui ôter le droit où il prétendait, avec raison, avoir sur Aline, et dont il voulait user pour la donner à son ami; ce qui n'était plus pour madame de Blamont, devenait donc contre à l'instant. Toutes ces considérations la frappèrent; sa première pensée fut de nous en tenir aux arrangemens pris avec Isabeau, imaginant que cette pauvre petite malheureuse serait moins à plaindre inconnue, que chez elle.
Mais je m'opposai à cette manière d'envisager les choses, et je fis observer, à madame de Blamont, que, si le président avait envie de faire des recherches sur Sophie, il commencerait assurément par le village de Berceuil, et que d'ailleurs l'isolant dans ce bourg obscur, et dans un état si au-dessous d'elle, il lui devenait presqu'impossible de s'en servir alors décemment et utilement pour repousser les insignes prétentions de d'Olbourg. Nous convînmes donc que le meilleur parti était de la garder; de prendre les plus sûres informations sur l'ancienne nourrice de Sophie, et de forcer cette créature à avouer son crime. Cela n'était ni sûr ni aisé, j'en conviens, mais c'était néanmoins le seul expédient qui convint aux circonstances… D'après cela c'est toi que nous chargeons de cette importante recherche; ne néglige rien de tout ce qui peut te la faire faire avec autant de célérité que d'exactitude.-L'ancienne nourrice de Claire demeurait au Pré-Saint-Gervais, le village n'est pas grand, les recherches y seront aisées; ce fut là où Sophie passa les trois premières semaines de sa vie, chez une paysanne nommée Claudine Dupuis , et c'est dans cette paroisse que le service se fit; c'est de ce village que le président sortit de nuit, le 16 août 1762, ayant la petite fille dans une barcelonnette verte sur le devant, d'un vis-à-vis gris, sans laquais. Voilà tout ce qu'il faut, mon cher Valcour, pour diriger tes informations; agis sur-le-champ, abstraction faite de toute réflexions de ta part. Songe que tu ne travailles point ici contre d'Olbourg ni contre Blamont, mais uniquement en faveur d'une mère désolée qui t'adore, et qui n'a que toi à qui elle puisse confier de tels soins; nulle sorte de délicatesse ne saurait donc t'arrêter ici; si tu trouves la femme, dont il s'agit, notre avis est que tu emploies les voies de la plus grande douceur, pour lui faire avouer ce qu'elle a fait, et que tu tâches de la faire convenir de tout, devant quelques témoins. Si elle refuse d'avouer, il faudra l'assigner alors en justice; car, toute considération doit céder à l'importance de constater la légitimité de Sophie; il n'est aucune voie qu'il ne faille employer pour y réussir, puisque c'est de cette légitimité reconnue que nous attendons tout, et que c'est en prouvant cette légitimité d'une part, et de l'autre le commerce de d'Olbourg avec cette fille, que nous détruisons tous les projets qu'il a de te nuire. Adieu, presse tes opérations, instruis nous, et compte toujours sur l'exactitude de nos soins.
LETTRE XXII.
Vertfeuil, ce 15 septembre.
Je ne vous écris qu'un mot, et Dieu sait dans quelle agitation! hier au soir tout était calme,… nous attendions de vos nouvelles, Sophie allait de mieux en mieux; j'étais entre la meilleure des mères, et cette chère et infortunée soeur que j'aime avec passion; je les carressais toutes deux.-Cette pauvre Sophie, si consolée de tous ses maux, si heureuse de sa nouvelle situation mêlait ses larmes aux nôtres; Eugénie, Déterville et madame de Senneval lisaient à l'autre bout du salon, laissant tomber de tems en tems des regards attendris sur le tableau que nous leur offrions: tout-à-coup madame de Senneval, près d'une croisée donnant sur la cour, quitte son livre et dit effrayée: j'entends une voiture; nous prétons l'oreille, elle ne se trompait pas… Ma mère vole cacher Sophie dans le cabinet d'une de ses femmes; à peine est-elle redescendue, qu'une chaise en poste entre effectivement; on apporte des flambeaux,… mon ami c'était… mon père;… c'était le cruel d'Olbourg;… ma main tremble en traçant ces noms:… ils arrivent malgré leur promesse… quelle en est la cause? savent-ils que nous avons Sophie? que veulent-ils?… qu'exigent-ils? Tout mon sang se trouble… Je n'ai que la force de vous embrasser, et de donner vîle mon billet à Déterville, qui se charge de vous le faire tenir.
Postcriptum de Déterville .
Je le cachette en diligence parce que les postilions, qui ont amené ces cruels gens, vont se charger de le faire passer de main en main, ce qui te le fera recevoir trois jours plutôt; ne crains rien, agis; je les aime mieux ici qu'à Paris, pendant tes opérations: les visages ne sont point austères, et je n'apperçois jusqu'à présent que de l'honnêteté et de la décence. Madame de Blamont est dans un état affreux;… elle s'excuse sur une migraine. Madame de Senneval, Eugénie et moi parons à tout, et faisons les frais de tout.-Je vais reprendre le journal, tu seras instruis de ce qui va se passer, minute par minute.
Juste ciel! si les hommes, en entrant dans la vie, savaient les peines qui les attendent; qu'il ne dépendit que d'eux de rentrer dans le néant, en serait-il un seul qui voulût remplir la carrière!
LETTRE XXIII.
Vertfeuil, ce 20 septembre.
O Valcour! y a-t-il un degré où le vice confondu s'arrête? existe-t-il un moyen de deviner dans les yeux de l'homme corrompu si ce qu'il dit, si ce qu'il fait émane véritablement de son coeur, ou si ses actions, si ses discours ne viennent que de sa fausseté? Quels procédés peuvent, en un mot, nous donner la clef de l'âme d'un scélérat, et comment, avec l'habitude où il est de feindre, peut-on distinguer quand il en impose ou non? T'assurer quelque chose de certain sur les suites de ce que j'ai à t'apprendre, jusqu'à la solution de ce problème, est une chose véritablement impossible; je dirai donc et tu combineras.
Le 14, au soir, nos voyageurs fatigués s'en tinrent à quelques politesses vagues, des nouvelles, un excellent souper, et des lits. De notre part, le billet que nous t'écrivîmes, des craintes, et point de sommeil… La vertu se tourmente et s'agite où le vice repose en sûreté.
Le 15, au matin, le président mena son ami chez Aline, elle s'était levée de très-bonne heure pour venir glisser sous ma porte, ainsi que nous en étions convenu la veille, le billet où j'écrivis un mot; mais elle s'était recouchée. Extrêmement surprise d'une visite si matinale, elle répondit à son père, (qui s'informait s'il était jour) qu'elle était désespérée de ne pouvoir lui ouvrir; qu'elle allait sonner, mais qu'on n'était pas encore entré chez elle. Le président, peu scrupuleux, insista:… quand il s'agit de recevoir un père et un époux, dit-il à travers la porte, on ne doit pas y regarder de si près: ouvrez Aline, et n'ayez nulle crainte.-En vérité je ne ne puis, je suis au lit,-qu'importe, il faut ouvrir, ma fille, ou je me fâcherai.-Mais la prudente Aline ne put entendre cette dernière phrase; enveloppée d'un manteau de lit, elle s'était lestement évadée par le petit escalier qui communique de sa chambre au cabinet de madame de Blamont; et elle était déjà toute allarmée sur le pied du lit de sa mère, quand le président peu accoutumé à de la résistance, lorsqu'il annonçait des désirs, déclarait que si on ne lui ouvrait pas à l'instant, il allait enfoncer la porte;… il s'y déterminait, quand une femme de chambre, promptement envoyée vers lui, proposa de passer dans l'appartement de Madame, où le déjeûner allait être servi.
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