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Catherine Il suffit d'un Amour Tome 2 - Бенцони Жюльетта - Страница 54
— Alors, messire-ambassadeur, s'ecria-t-il, je me suis laisse dire que vous alliez encore courir les routes et nous quitter ? Je vous envie, par ma foi, de vous en aller vers les pays du soleil tandis que nous allons, nous autres pauvres Septentrionaux, nous enfoncer dans les froidures de l'hiver.
— Comment, Van Eyck ? Vous nous quittez ? s'ecria Catherine avec surprise. Mais vous ne m'en avez rien dit !
Le peintre etait subitement devenu tres rouge et lancait au visiteur des coups d'?il pleins de reproches.
— J'allais le faire, fit-il d'un ton rogue, quand messire de Saint-Remy est arrive...
Le jeune conseiller etait devenu presque aussi rouge que le peintre. Son regard inquiet allait de Catherine a Van Eyck puis revenait.
— Si je comprends bien, fit-il avec confusion, j'ai encore eu la langue trop longue et...
Catherine, sans ceremonie, lui coupa la parole. Elle se dirigea vers le peintre, trainant derriere elle l'immensite de sa robe violette, et se planta devant lui de maniere a bien le regarder dans les yeux.
— Ou allez-vous donc, Jean ? Vous en avez trop dit l'un et l'autre pour ne pas eveiller ma curiosite. Suis-je donc censee ignorer votre nouvelle mission
? Car c'est en mission que Monseigneur Philippe vous envoie, n'est-ce pas ?
Ce n'etait pas, en effet, la premiere fois que Philippe de Bourgogne utilisait les talents diplomatiques de son peintre favori. La sensibilite d'artiste de Van Eyck le rendait tout a fait propre aux ambassades particulierement delicates. Il haussa les epaules.
— Oui, il m'envoie comme legat. J'aurais prefere qu'il vous annoncat lui-meme la nouvelle mais, apres tout, vous le saurez bien un jour, tot ou tard.
Le duc m'envoie au Portugal. Je dois y faire des ouvertures, aupres du roi Jean Ier, en vue d'un mariage eventuel entre l'infante Isabelle et...
Il s'interrompit, n'osant aller plus loin. Ce fut Catherine qui, doucement, acheva la phrase commencee :
— ... entre l'infante Isabelle et le duc de Bourgogne ! Voyons, mon ami, me croyez-vous assez sotte pour ne pas savoir qu'il lui faut se marier, une nouvelle fois, s'il veut enfin avoir un heritier ? Il y a longtemps que j'attends une nouvelle comme celle- la. Et je ne suis pas surprise. Pourquoi donc tant de precautions oratoires ?
— Je craignais que vous n'en eussiez de la peine. L'amour du prince pour vous est immense et je sais que ce mariage n'est qu'un mariage de raison.
L'infante a plus de trente ans, on la dit belle mais on dit cela de toutes les princesses et...
— Allons ! Allons ! coupa encore Catherine, cette fois en .riant. Voila que vous plaidez encore. Ne vous mettez donc pas martel en tete de la sorte.
Je connais mieux que vous les sentiments de Monseigneur Philippe... et les miens propres. Et vous ne m'avez fait aucune peine. Parlons de choses serieuses : avec cette mission, quand donc finirez-vous mon portrait ?
— Je ne partirai qu'a la fin du mois, j'ai encore tout le temps...
La nouvelle si etourdiment rapportee par Saint- Remy la touchait plus qu'elle ne voulait bien l'admettre car son existence allait s'en trouver changee. Elle avait toujours su, depuis la mort de la seconde femme de Philippe, qu'un jour viendrait ou il faudrait choisir une nouvelle duchesse.
La puissance du duc de Bourgogne ne faisait que croitre, tout lui reussissait et ses etats s'agrandissaient. Il avait, tout recemment, conclu a son avantage la guerre de Hollande, menee contre sa turbulente cousine, la belle Jacqueline de Luxembourg, une heroine de roman d'aventure. Vaincue, la belle comtesse avait du faire de Philippe son heritier. De plus, le comte de Namur, dont le duc devait, a sa mort, recuperer les terres, etait fort malade.
A si grand etat il fallait non seulement une souveraine, mais surtout une descendance. Les batards que Philippe avait eus de plusieurs maitresses ne pouvaient esperer lui succeder.
Mais, si Catherine savait qu'un jour une autre femme s'assoirait sur le trone aux cotes de Philippe, elle n'en avait pas moins pris, d'avance, une serieuse decision : celle de ceder la place, de se retirer... Pendant trois ans, l'amour de Philippe avait fait d'elle une veritable reine sans couronne, la maitresse et l'astre de la Cour. Son orgueil renaclait a se rabaisser au role, humiliant, de maitresse meme favorite.
Le temps etait venu de prendre une decision. Mais laquelle ? Le mieux serait sans doute de retourner en Bourgogne. D'abord a Chateauvillain. Il y avait deux ans qu'elle n'avait vu son fils qu'Ermengarde elevait avec un soin devotieux mais non sans energie. L'enfant lui manquait, maintenant.
— A quoi songez-vous, Catherine ? demanda Saint-Remy. Vous etes bien loin de nous, il me semble. Voici Van Eyck qui voudrait prendre conge et vous ne l'entendez meme pas.
Elle s'excusa d'un sourire :
— Pardonnez-moi ! A demain, Jean... Finissons- en avec ce tableau puisque aussi bien le temps vous presse-Le peintre ne repondit pas. Il hocha tristement la tete. La nuance nerveuse du ton de Catherine ne lui avait pas echappe. Il s'inclina tres bas sur la main qu'elle lui tendait.
— Que je sois, moi, charge de cette mission qui vous peine..., fit-il, moi qui donnerais ma vie pour vous eviter une larme ! Quelle ironie !
— Mais non. Partez sans crainte en Portugal. Faites un beau portrait de l'Infante et menez a bien votre mission. Je n'ai pas de peine, je vous l'affirme. Je quitterai la Cour sans regret car j'en suis lasse. A votre retour, vous saurez bien me retrouver. Nous serons toujours amis.
Il laissa tomber a regret la main fine qu'il avait gardee un instant entre les siennes, se retira sans un mot. Jean de Saint-Remy qui n'avait pas bouge de son siege le regarda sortir avec un sourire.
— Si celui-la n'est pas follement epris de vous, je veux bien etre pendu !
Mais il etait fatal qu'un artiste comme lui fut sensible a votre beaute... Ne me regardez pas ainsi, mon amie. Je devine ce que vous pensez : ce Saint-Remy porteur de mauvaises nouvelles aurait du avoir la decence de se retirer avec Van Eyck. Non, ne protestez pas : c'est trop naturel ! Seulement, si j'ai commis l'incongruite de rester, c'est parce que j'ai quelque chose a vous dire... quelque chose qui ne souffre aucun retard.
— Est-ce que vous partez, vous aussi ?
— Bien sur que non. Seulement j'ai appris a craindre vos brusques decisions. Et je devine que vous allez en prendre une maintenant et je ne tiens pas a courir a l'autre bout de la terre pour vous atteindre. Vous etes la femme la plus fuyante, la plus imprevisible que je connaisse... la plus adorable aussi !
— Par grace, Jean, fit Catherine d'un ton excede. Je n'ai pas envie d'entendre le moindre madrigal aujourd'hui. Laissez, je vous prie, ma beaute, mon charme... Vous ne pouvez pas savoir combien je suis lasse d'entendre repeter toujours la meme chose. Quand ce n'est pas Van Eyck, c'est vous, quand ce n'est pas vous, c'est Roussay, c'est Hughes de Lannoy, c'est Toulongeon... jusqu'a maitre Nicolas Rolin qui a pris l'habitude de faire ici des visites prolongees qui m'ennuient a mourir.
— Sans doute pour se dedommager de l'existence austere qu'il mene aupres de sa pieuse epouse, Gui- gonne de Salins. Il n'a pas la vie drole, notre chancelier. Mais ce n'est pas de lui que j'entends vous parler. C'est de moi...
— Un sujet passionnant ! persifla Catherine avec un eblouissant sourire.
Euh... passionnant est beaucoup dire ! Interessant, je vous l'accorde. Alors voila... Tout en parlant, Jean de Saint-Remy s'etait leve. Depliant sa longue et mince personne, il s'etait fige devant Catherine en une sorte de garde-a-vous... Voila : je m'appelle Jean Lefebvre de Saint-Remy. J'ai trente- deux ans, je suis riche, en bonne sante, bien pourvu de terre, tres suffisamment noble... et je vous aime autant qu'il est possible a un Saint-Remy d'aimer.
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