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Catherine Il suffit d'un Amour Tome 2 - Бенцони Жюльетта - Страница 43
Donc, en principe, tant que cette porte demeurera close nous ne risquerons rien. Le probleme va etre de defendre les gens du village contre la furie de ces demons...
— Vous voyez bien qu'il faut que j'y aille !
Ne repetez donc pas toujours la meme chose, fit Ermengarde avec lassitude.
Je vous dis, moi, que vous resterez ici. Meme si pour cela je dois vous enfermer. Laissez faire l'abbe. Vous l'avez vu a l'?uvre tout a l'heure. Au surplus, il sera temps pour vous de parlementer avec Garin quand viendra l'aube... mais du haut du rempart. Jusque-la, tenez- vous tranquille et, comme je devine que vous ne pourrez pas dormir plus que moi, faisons la seule chose sensee : allons a la chapelle et prions. Au surplus mon intuition me dit que votre reddition ne changerait rien. Ces gens flairent le sang !
Il n'y avait rien a repondre a ce discours. Catherine baissa la tete et suivit Ermengarde. Tandis qu'elles gagnaient la grande eglise encore inachevee, une activite intense s'emparait de l'abbaye. Dans la cour d'entree, de grands feux avaient ete allumes sous d'enormes marmites de fer dans lesquelles une chaine de moines versaient de pleines jarres d'huile ou faisaient fondre de la poix. On sortait des granges les fourches et les faux, des ateliers les marteaux et tous les outils tranchants. Au milieu de toute cette activite, Jean de Blaisy allait et venait, sa robe relevee dans sa ceinture revelant des bottes et des eperons d'or, car, dans sa jeunesse et avant d'entrer dans les ordres, il avait recu l'investiture chevaleresque. Il etait transforme, l'abbe de Saint-Seine ! L'ardeur a la bataille des guerriers dont il portait le sang dans ses veines se reveillait avec la menace. Si le Begue de Perouges et Garin de Brazey osaient porter le fer et le feu sur la maison du Seigneur, ils seraient recus par le fer et par le feu. L'homme de priere s'etait mue en homme de guerre et ses moines, seduits peut- etre par l'action violente qui se preparait et qui tranchait si crument sur leur vie de travail et de meditation, se joignaient a lui d'un seul elan. Il n'etait pas un seul de ces vigoureux Bourguignons voues au service du Seigneur qui ne se sentit pousser une ame de Templier... La cour etait pleine de cranes rases, de robes noires qui, a l'exemple de l'abbe, se relevaient sur des jambes musculeuses et de larges pieds etales par le port des sandales. Lorsque l'on eut chante matines, car Jean de Blaisy n'entendait pas que Dieu fut lese dans cette histoire, une sorte de conseil de guerre reunit chez l'abbe les differents dignitaires du couvent pour aviser aux dispositions encore a prendre. Mais, bien entendu, les trois femmes n'y eurent point part.
Dans la chapelle, agenouillee aupres d'Ermengarde qui priait de tout son c?ur, la tete dans ses mains, Catherine essayait vainement de s'adresser a Dieu. Une invincible apprehension de ce qui allait se passer la tourmentait.
Les bruits vagues parvenant jusqu'a elle, a travers les murs epais de l'Eglise, augmentaient peu a peu son angoisse jusqu'a une terreur profonde. Elle savait que l'abbaye pouvait se defendre, que ses murailles etaient puissantes et que le Begue de Perouges aurait du mal a les franchir. Jean de Blaisy etait un homme resolu, ses moines ardents et courageux. Mais c'etait aux malheureux habitants du village qu'elle pensait surtout ! Elle devinait la peur de ces pauvres gens que rien ne defendait contre la troupe sanguinaire. Ils avaient pu voir, en Gervais et en Paquerette, un atroce echantillon de sa barbarie et supputaient sans doute ce qui les attendait, le jour venu. Et pourquoi ? A cause d'une femme poursuivie par son mari. Combien, quand tomberait sur eux le glaive ou la torche, mourraient en la maudissant ?
Une envie de voir ce que faisaient les routiers saisit Catherine. Est-ce qu'au mepris de leur parole, ils ne commencaient pas a molester les pauvres paysans ? Savait-on jamais quel credit pouvait etre accorde aux gens de cette sorte ? Elle jeta un coup d'?il a Ermengarde. La comtesse priait avec une ardeur, une concentration qui lui etaient toute conscience de ce qui se passait autour d'elle. La tete dans ses mains, elle ne voyait rien. Catherine bougea, s'ecarta doucement sans qu'Ermengarde tournat la tete vers elle. Sans bruit, la jeune femme fit quelques pas dans la nef, s'eloignant sans perdre de vue son amie. La porte de l'eglise demeuree entrouverte lui facilita la tache. Elle se glissa dehors et constata que les grands feux allumes n'eclairaient pas le portail. L'abbe etait renferme chez lui a tenir conseil, les moines s'activaient autour des marmites, violemment eclaires par les flammes dansantes. Nul ne faisait attention a elle.
Rapidement, Catherine traversa la cour, gagna les degres de pierre qui menaient au chemin de ronde, monta... Il n'y avait personne, derriere les creneaux de l'abbaye. Mais, en bas, sur la place du village, une agitation insolite regnait. Les routiers avaient fait des feux de bivouac autour desquels certains se reposaient. Catherine reconnut Garin et le Begue de Perouges, assis aupres du plus important de ces feux, mangeant et buvant. Par contre la plus grande partie de la troupe s'activait et ce qu'elle faisait arracha une exclamation d'horreur a la jeune femme.
A l'aide de planches et de clous qu'ils avaient du prendre chez le charpentier de Saint-Seine, ils etaient occupes a condamner les portes et les fenetres des maisons, pour empecher les habitants de sortir. D'autres, venant du bout du village, apportaient d'enormes brassees de paille et de bois mort qu'ils entassaient devant les maisons au fur et a mesure que leurs compagnons achevaient leur travail de cloture. L'effroi glissa dans les veines de Catherine comme un ruisseau de glace. Elle ne comprenait que trop bien ce qui allait se passer, demain matin, quand l'abbe refuserait de la rendre.
Quelques torches jetees dans ces brasiers tout prepares et le village en entier flamberait d'un seul coup. Les braves gens enfermes a l'interieur grilleraient tout vivants, avec leurs enfants, leur betail, leurs modestes richesses...
Catherine sentit qu'elle ne pourrait le supporter. S'il lui fallait, pour se garder de Garin, contempler la ruine de ce pays, entendre les hurlements des innocents sacrifies, jamais plus elle ne pourrait dormir !
Bien sur, les raisons d'Ermengarde etaient bonnes. Peut-etre meme avait-elle raison en disant que sa reddition ne sauverait pas le village menace. Mais, ce risque Catherine n'avait pas le droit de l'eviter. Meme si cela ne lui servait qu'a mourir avec les autres, elle preferait encore cette solution-la... Du moins mourrait-elle sans se mepriser !
Sans plus reflechir, Catherine degringola le raide escalier. Elle avait remarque, vers les etables de l'abbaye, une petite porte ouvrant directement sur les champs. Elle etait dans un renfoncement, donc peu visible, et l'abbe n'avait peut-etre pas songe a la faire garder comme le grand portail ou veillaient les hommes d'Ermengarde. Rapidement, rasant les murs pour ne pas etre vue, la jeune femme s'eloigna vers l'ombre des batiments. Si forte etait sa resolution de se sacrifier qu'elle n'avait meme pas peur. Ce qu'elle ressentait, c'etait une sorte d'exaltation comme devaient en eprouver les victimes offertes en holocaustes sur les autels barbares. C'etait pour que d'autres vivent qu'elle allait mourir...
La porte, qu'elle atteignit presque a tatons, n'etait pas gardee, mais elle etait fermee par une lourde barre de fer passee dans des gaches et qu'il ne devait pas etre facile de faire glisser. Catherine, pourtant, s'y attaqua. Tirant de toutes ses forces sur le loquet de cette barre, s'y ecorchant la paume des mains, elle parvint a la faire bouger. Lentement, lentement, la barre glissa, quitta son logement. Les mains de Catherine etaient en sang, son visage couvert de sueur quand, enfin, elle reposa la barre a terre. Plus rien, maintenant, ne l'empechait de sortir... Au-dela du mur, elle prendrait sa course vers Garin, se jetterait a ses pieds s'il le fallait, s'humilierait pour flechir sa colere...
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