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Catherine des grands chemins - Бенцони Жюльетта - Страница 39
— Que faire alors ?
Sara haussa les epaules et designa, d'un mouvement de tete, le chateau dont la masse noire les dominait.
— Attendre. Peut-etre que le temps viendra bientot ou le seigneur La Tremoille demandera qu'on lui envoie d'autres danseuses. Deux des filles de la tribu sont la- haut depuis huit jours et il est inhabituel, d'apres ce que dit Fero, qu'on les garde aussi longtemps. Il pense qu'on a du les tuer.
— Et... il accepte cela ? s'ecria Catherine la bouche soudain seche.
— Que peut-il faire ? Il a peur, comme tous ceux d'ici. Il ne peut qu'obeir et livrer ses femmes, meme s'il porte la rage au c?ur. Il sait trop bien que, s'il plaisait au Chambellan d'aligner une compagnie d'archers sur la courtine et de faire tirer sur le camp, personne ne viendrait l'en empecher, surtout pas les gens de la ville qui craignent, les errants comme le diable.
Une amertume passait dans la voix de Sara ; Catherine comprit qu'elle partageait la rage de Fero parce que les femmes sacrifiees au plaisir de La Tremoille etaient de sa race. Elle eut envie, soudain, de la reconforter.
— Cela ne durera plus maintenant. Prions le ciel pour que l'on me fasse bientot monter la-haut.
— Prier pour que le danger vienne a toi ? fit Sara tristement. Tu dois etre folle !
Mais Catherine ne songeait qu'a cet instant ou le caprice du Grand Chambellan les mettrait face a face. Chaque soir, autour du feu, apres le repas pris en commun, elle observait soigneusement les filles que Fero faisait danser pour pouvoir les imiter quand le temps serait venu.
Le chef ne lui adressait jamais la parole, mais elle savait que c'etait pour elle qu'il demandait des danses tous les soirs et, souvent, elle croisait son regard sombre, enigmatique et lourd.
Pourtant, parmi les femmes, Catherine s'etait fait deux amies : la vieille Orka d'abord, qui ne parlait pas, mais qui pouvait rester des heures a la regarder en hochant la tete. On disait que la mort de son fils lui avait fait perdre l'esprit, mais Catherine trouvait un reconfort a rencontrer ce vieux visage amical. L'autre femme qui ne se montrait pas hostile etait la propre s?ur de Fero. Tereina devait avoir une vingtaine d'annees ; malheureusement elle etait restee bossue et contrefaite a la suite d'une chute quand elle etait enfant et ne paraissait pas avoir beaucoup plus de douze ans. Elle avait un visage ingrat, que l'on oubliait cependant en regardant ses yeux : deux lacs noirs, immenses et lumineux, qui
avaient toujours l'air de voir plus loin et plus profond que les autres.
Tereina etait venue vers Catherine des le lendemain de son arrivee.
Sans rien dire, avec un sourire timide, elle lui avait tendu un canard dont elle avait proprement tordu le cou. Catherine avait compris que c'etait la un present de bienvenue et elle avait remercie la jeune fille.
Mais elle n'avait pu s'empecher d'ajouter :
— Ou l'as-tu pris ?
— La-bas, repondit la jeune fille. Pres de la mare du couvent.
— C'est genereux a toi de me l'apporter, mais tu sais ce que tu risques a prendre le bien d'autrui ?
Tereina alors avait ouvert de grands yeux surpris.
— Autrui ? Qui est autrui, sinon le Createur ? Il a cree les betes pour nourrir les. hommes. Pourquoi donc certains les garderaient-ils pour eux seuls ?
Catherine n'avait rien trouve a repondre a cette logique. Elle avait partage le canard, prealablement roti, avec Tereina. Depuis, la jeune fille s'etait attachee a elle et l'aidait a s'habituer a son nouvel etat.
Dans la tribu, la s?ur du chef jouissait d'un rang particulier. Elle connaissait les vertus des simples et, a cause de cette connaissance, elle etait la drabarni, la femme aux herbes qui peut ecarter la maladie, adoucir la mort ou faire naitre l'amour. Cela lui valait le respect un peu craintif de tous.
Le quatrieme jour, quand vint le crepuscule, Fero ne fit pas appeler les deux femmes aupres de son feu, comme les autres soirs, pour partager le repas. Elles resterent autour de la marmite de la vieille Orka et avalerent en silence le ragout de ble noir et de lard fortement parfume d'ail sauvage qu'elle avait prepare. Le campement etait silencieux et morne car on n'avait toujours pas de nouvelles des deux filles montees au chateau. D'autre part, une dizaine d'hommes s'etaient eloignes pour pecher dans la Loire sans risquer de tomber sous la lourde main des forestiers royaux. Ils ne reviendraient que dans deux ou trois jours.
Fero, retranche dans son chariot, etait invisible et il n'y aurait ce soir ni chants ni danses. Le ciel, tout le jour, avait charrie de gros nuages noirs. Il avait fait une chaleur inaccoutumee pour la saison. Cela sentait l'orage et Catherine, oppressee, avait du mal a respirer. Elle avait a peine touche a la soupe trop grasse dont l'odeur forte lui faisait mal au c?ur et elle allait remonter dans le chariot pour dormir quand, soudain, Tereina etait apparue aupres du feu. Une piece d'etoffe rouge sombre drapait. son corps contrefait et son visage pale, jailli de l'ombre, etait semblable a celui d'un fantome. Sara lui designait deja, de la main, une place aupres d'elle, mais la jeune fille n'avait regarde que Catherine.
— Mon frere te demande, Tchalai. Je vais te conduire aupres de lui.
— Que lui veut-il ? demanda vivement Sara en se levant.
— Qui suis-je pour le lui demander ? Le chef ordonne, il doit etre obei.
— Je vais avec elle.
— Fero a dit Tchalai seule. Il n'a pas dit Tchalai et Sara. Viens, ma s?ur. Il n'aime pas attendre.
Et la jeune fille, reculant d'un pas, rentra dans l'ombre. Catherine, alors, suivit sans un mot le petit fantome rouge. L'une derriere l'autre, elles traverserent une bonne partie du camp silencieux. Les feux s'eteignaient deja et les Tziganes se retiraient pour dormir. La nuit etait sombre. L'on y voyait mal. Soudain, comme le chariot a roues pleines qui servait de logis au chef, eclaire a l'interieur par une lampe a huile, n'etait plus qu'a quelques pas, Tereina s'arreta et se tourna vers Catherine. Celle-ci vit briller, dans l'ombre, les grands yeux de la Tzigane.
— Tchalai, ma s?ur, tu sais que je t'aime, dit-elle gravement.
— Je le crois, du moins. Tu as toujours ete bonne avec moi.
— C'est parce que je t'aime. Mais, ce soir, je veux te le prouver.
Tiens... prends ceci et bois.
Elle avait tire de son vetement une petite fiole et la mettait dans la main de Catherine, toute chaude de sa propre chaleur.
— Qu'est-ce que c'est ? demanda la jeune femme soudain mefiante.
— Quelque chose dont tu as grand besoin. J'ai lu en toi, Tchalai.
Ton c?ur est froid comme le c?ur d'une morte et je veux que ton c?ur revive. Avec ce que je te donne, ton c?ur revivra. Bois sans hesiter, a moins que tu ne te defies de moi ? ajouta-t-elle avec tant de tristesse que Catherine sentit sa mefiance s'amollir.
— Je ne me mefie pas de toi, Tereina, mais pourquoi ce soir ?
— Parce que c'est ce soir que tu en auras besoin. Bois sans crainte, ce sont des herbes benefiques. Tu ne sentiras plus ni fatigue ni decouragement. J'ai fait ce melange pour toi... parce que je t'aime.
Quelque chose de plus fort qu'elle poussa Catherine a porter a ses levres le petit flacon. Il degageait un parfum d'herbes, puissant mais agreable. Elle n'avait plus aucune crainte. On n'offre pas le poison avec cette tendresse dans la voix... D'un trait, elle avala le contenu puis toussa. C'etait comme une flamme parfumee qui avait coule en elle et, instantanement, elle se sentit plus forte et plus vaillante. Elle sourit au visage tendu de la jeune fille.
— Voila, tu es contente ?
Doucement, Tereina serra sa main, sourit a son tour.
— Oui... Va, maintenant. Il t'attend.
En effet, sous la toile soulevee du chariot, la silhouette de Fero se decoupait en noir sur le fond eclaire. Tereina disparut comme par enchantement tandis que Catherine, prise d'un nouveau courage, s'avancait vers le logis du chef. Il tendit la main sans rien dire, l'aida a monter dans le vehicule et laissa retomber la toile sur eux. Au meme instant, un eclair livide illumina le ciel tandis qu'au bout de l'horizon le tonnerre eclatait. Catherine, surprise, sursauta. Les dents blanches de Fero etincelerent entre ses levres rouges.
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