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Catherine Il suffit d'un Amour Tome 2 - Бенцони Жюльетта - Страница 22
Il n'etait que brocart violet, dentelles et broderies d'or. Une magnifique croix pectorale en diamants brillait sur son ventre rebondi. Il devait avoir entre cinquante et soixante ans. Toute sa personne respirait l'orgueil et la prosperite. Grand et fortement charpente, envahi par une graisse abondante, il eut ete majestueux sans la desagreable expression de ruse de son visage a la fois long et plat. Le personnage parlait haut avec un accent remois qui rappela quelque chose a Catherine. Elle avait deja vu cette tete-la quelque part. Mais ou ?
Se penchant vers sa voisine, qui etait Mme de Vergy, elle designa l'eveque et demanda :
— Qui est-ce ?
Alix de Vergy tourna vers elle un regard surpris et vaguement condescendant.
— Se peut-il que vous ne connaissiez pas l'eveque de Beauvais ? Il est vrai que vous n'etes pas a la Cour depuis tres longtemps.
— Je ne connais peut-etre pas l'eveque de Beauvais, riposta Catherine, mais je connais cet homme- la. Comment s'appelle-t-il ?
— Pierre Cauchon, voyons ! L'une des lumieres de notre siecle et l'un des plus chauds partisans de l'alliance anglaise. On a beaucoup parle de lui, voici quelques annees, au Concile de Constance et, depuis quelques mois, le regent Bedford lui a donne le titre d'aumonier de France. Un homme remarquable...
Catherine reprima une grimace. Pierre Cauchon ! L'associe de Caboche l'Ecorcheur, aumonier de France ? C'etait a mourir de rire ! Sa bouche rouge eut une moue de degout qui stupefia Mme de Vergy.
— On parlait beaucoup de lui, a Paris aussi, il y a quelques annees. Il s'etait acoquine avec les bouchers et faisait pendre les honnetes gens qui avaient le seul tort de ne pas penser comme lui ! Et le voila eveque ? Une digne recrue que le Seigneur a faite la ! Presentez-le-moi, voulez-vous ?
Eberluee, Alix de Vergy s'executa. L'assurance de cette petite bourgeoise anoblie la siderait. Et plus encore qu'elle osat parler avec ce mepris d'un prelat comme Monseigneur de Beauvais, qui jouissait de la faveur ducale.
Quelques instants plus tard, Catherine etait admise a baiser l'anneau pastoral de l'eveque. Elle le fit en reprimant une grimace de degout parce que ledit anneau ornait des doigts boudines et gras. Mais un sentiment de defi la poussait a entrer en relations avec Cauchon.
— Madame de Brazey, fit l'eveque avec onction, vous me voyez heureux de vous connaitre. Nous apprecions beaucoup au Conseil votre mari qui est un tres remarquable financier. Quant a vous, je n'ai pas encore eu l'honneur de vous rencontrer car je m'en souviendrais. Outre que je n'oublie jamais un visage, le votre est de ceux qui ne s'effacent pas de la memoire d'un homme... meme s'il est pretre.
— Votre Reverence est trop bonne ! fit Catherine, jouant a merveille la confusion. Pourtant, elle m'a deja vue. Il est vrai qu'il y a longtemps.
— Vraiment ? Vous m'etonnez !
Tout en parlant, tous deux avaient fait quelques pas et l'entourage du prelat, devinant qu'il souhaitait s'entretenir seul un instant avec la belle Catherine, s'etait ecarte, Alix de Vergy comme les autres. Catherine decida de profiter de cette demi-solitude. Cauchon reprenait :
— Messire votre Pere etait peut-etre l'un des grands serviteurs du duc Jean, dont Dieu ait l'ame ? Il etait mon bien cher ami ! J'aimerais que vous eussiez la grace de me rappeler votre nom de jeune fille-Catherine secoua la tete avec un petit rire.
— Messire mon pere n'etait pas de l'entourage de Jean sans Peur, votre Reverence, et si je puis vous affirmer que vous l'avez connu, ce n'est certes pas dans les circonstances que vous imaginez. En fait, Monseigneur... vous l'avez fait pendre!
Cauchon eut un haut-le-corps.
— Pendre ? Un gentilhomme ? Madame... si pareille chose etait arrivee par mon ordre, je m'en souviendrais !
Aussi n'etait-il pas gentilhomme, poursuivit Catherine, tranquillement, mais avec, dans sa voix, une inquietante douceur. Ce n'etait qu'un simple bourgeois... un modeste orfevre du Pont-au-Change a Paris..C'etait il y a dix ans. Il se nommait Gaucher Legoix, un nom qui doit vous rappeler quelque chose. Vous et votre ami Caboche l'avez fait pendre parce que moi, pauvre innocente, j'avais cache un jeune homme dans notre cave... un autre innocent que l'on a massacre sous mes yeux.
Au nom de Caboche, deux plaques rouges s'etaient dessinees sur les joues grasses et pales de l'eveque de Beauvais. Dans sa nouvelle dignite episcopale, il n'aimait pas ce rappel a d'anciennes relations tres peu flatteuses. Mais ses petits yeux jaunes s'attacherent au visage de Catherine avec insistance.
— Voila pourquoi votre visage me rappelait quelque chose. Vous etes la petite Catherine, n'est- ce pas ? Je suis excusable de ne vous avoir point reconnue car vous avez beaucoup change. Qui eut pu supposer...
— ... qu'une modeste fille d'artisan evoluerait a la Cour de Bourgogne ?
Ni votre Reverence, ni moi, certes. Pourtant, il en est ainsi. Le destin est une chose etrange, n'est-ce pas, Monseigneur ?
— Tres etrange ! Vous me rappelez des choses que je voudrais oublier.
Vous voyez que je suis franc ? Je vais l'etre encore davantage : je n'avais aucune animosite personnelle contre votre pere. Je l'eusse peut-etre sauve, si la chose eut ete possible. Mais elle ne l'etait pas !
— Etes-vous bien sur d'avoir tout fait pour lui eviter la corde ? Vous aviez coutume, alors, de balayer ce qui vous genait. Or, il vous genait...
Cauchon ne broncha pas. Son lourd visage demeura impassible. Son regard etait dur comme une pierre d'ambre pale.
Il me genait, en effet ! Le temps n'etait pas aux demi-mesures. Apres tout, peut-etre avez-vous raison. Je n'ai pas cherche a le sauver parce que je n'en voyais pas l'utilite.
— Voila qui est franc !
Ils etaient arrives dans l'embrasure profonde d'une fenetre. L'eveque posa sa main sur l'un des carreaux, suivant distraitement du doigt les meandres de plomb qui le sertissaient, le regard au loin.
— Acceptez que je vous pose une question ? Pourquoi avez-vous desire me rencontrer ? Vous devez me hair ?
— Je vous hais, en effet, repondit Catherine imperturbablement calme.
J'ai seulement voulu vous voir de pres... et aussi vous dire que j'existais.
Enfin, je vous dois quelques remerciements car votre corde a epargne a mon pere une fin aussi penible mais infiniment plus longue...
— Laquelle ?
— Mourir de chagrin ! Il aimait trop son pays, son Roi et sa ville de Paris pour endurer d'un c?ur paisible d'y voir regner l'Anglais.
Une flambee de colere fit briller momentanement le regard atone de Pierre Cauchon.
— L'Anglais y regne par droit de naissance et par heritage royal ! Il est notre tres legitime souverain, ne d'une fille de France et choisi par ses grands- parents, tandis que le batard de Bourges... n'est qu'un aventurier !
Le rire bref et insolent de Catherine lui coupa la parole.
A qui ferez-vous croire cela ? Pas a moi, en tout cas... et pas meme a vous !
Votre Reverence n'ignore pas que le roi Charles VII ne l'aurait certes pas choisie pour etre aumonier de France. L'Anglais est moins difficile... et pour cause ! Il n'a guere le choix ! Mais permettez-moi de vous faire remarquer que, pour un pretre de Dieu, vous ne vous y entendez guere a distinguer celui qu'il a elu par droit de naissance pour regner sur la France.
— Henri VI, seul, est vrai Roi de France...
L'eveque semblait proche de l'apoplexie, mais
Catherine lui adressa son plus delicieux sourire.
— L'ennui, avec vous, Monseigneur, c'est que Votre Reverence aimerait sans doute mieux perir que reconnaitre qu'elle s'est trompee ! Allons, souriez, Monseigneur ! On nous regarde... singulierement le duc Philippe.
On a du vous dire que nous sommes de grands amis.
Au prix d'un effort surhumain, Pierre Cauchon reussit a unifier son visage. Il sourit meme, mais du bout des levres, et siffla entre ses dents serrees :
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