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Belle Catherine - Бенцони Жюльетта - Страница 23
Pourtant, quand vinrent les premiers jours de septembre et que la chaleur, enfin, cessa, les malaises, aussi subitement qu'ils etaient venus, quitterent Catherine. Elle put manger sans reclamer aussitot une cuvette et, peu a peu, les forces revinrent. Le matin ou le chateau se reveilla sous la premiere pluie, elle reussit a se lever, s'habiller et aller jusqu'a son miroir. Il lui offrit le reflet d'un visage amenuise, presque tragique dans sa minceur, mais ou les yeux, enormes, prenaient plus de valeur que jamais.
— Tu n'as plus que ca, des yeux !... grogna Sara qui lacait la robe de Catherine. Il faut reprendre des joues... et du reste, sinon ce bebe sera maigre comme un clou. On ne dirait pas que tu attends un enfant. Ta taille est demeuree celle d'une jeune fille.
— Sois tranquille, ca ne durera pas. Je me sens seulement encore un peu faible. Mais que cette pluie est donc agreable!
La pluie bienfaisante qui succedait a l'accablante chaleur allait se montrer aussi obstinee. Durant des jours et des jours, un rideau liquide enveloppa tout le pays, gonflant les ruisseaux ressuscites, reverdissant les champs roussis, transformant en fleuve de boue toutes les poussieres de tous les chemins. Mais c'etaient de veritables trombes d'eau que deversait le ciel le soir ou, sur la tour, le guetteur hurlant, soufflant dans sa corne a s'arracher les poumons, annonca a tous les echos que Gilles de Rais approchait de son chateau ancestral.
Aux appels de la trompe, le c?ur de Catherine avait bondi dans sa poitrine. Malgre le jour tombant et les rafales de pluie, elle s'enveloppa dans une epaisse cape et grimpa sur le chemin de ronde. Nul ne pretait attention a elle. Dans le chateau, brusquement reveille de sa torpeur monotone, tout etait en ebullition. Les soldats trainant leurs armes, les servantes portant des vetements de gala et les valets se ruant, dans toutes les pieces avec des brassees de chandelles neuves, encombraient les couloirs, courant en tous sens. On ne s'occupait pas de Catherine qui, d'ailleurs, dans l'enceinte du chateau, pouvait aller ou bon lui semblait.
Sur la tour de guet, le vent faisait claquer les bannieres. Il s'engouffra dans la cape de Catherine quand elle sortit de l'etroit escalier. Hormis le guetteur penche au creneau, il n'y avait personne.
— Sont-ils encore loin ? demanda Catherine.
L'homme d'armes sursauta parce qu'il ne l'avait
pas entendue venir. La pluie degoulinait de son chapeau de fer a l'ombre duquel disparaissaient ses yeux et son epaisse moustache. De son gantelet mouille, il ebaucha un salut puis tendit le bras vers le fleuve.
— Voyez vous-meme, Dame ! Les premieres bannieres arrivent le long de l'eau.
A son tour, Catherine se pencha entre les enormes merlons. L'avant-garde d'une puissante troupe serpentait, en effet, sur le chemin. Elle ne vit d'abord que des ombres confuses qui se confondaient avec celles de la nuit tombante et avec les brouillards du fleuve. Avec aussi les hachures noires des arbres. Elle distingua ensuite les bannieres alourdies par l'eau qui les mettait en berne, l'eclat sourd des armes, et, plus loin, par-dessus les tetes de la pietaille, le moutonnement des chevaux et des cavaliers. Un appel de trompettes domina un instant le crepitement de la pluie dans les flaques d'eau et sur les ardoises des poivrieres. Tendue de tout son etre vers ces hommes qui approchaient, Catherine essayait desesperement de distinguer parmi eux une armure noire, la forme d'un epervier sur un casque, l'armure et l'embleme d'Arnaud... Mais la nuit tombait vite et, comme pour repondre a son angoisse, un corbeau survola la tour en jetant son cri desagreable.
— Dame, murmura le soldat, ne vous penchez pas tant ! Vous risquez de tomber.
Elle le rassura d'un sourire mais ne se redressa pas.
Autour d'elle, sa cape claquait dans le vent comme une voile mouillee. Bientot, le pas des chevaux resonna, les appels de trompettes se firent plus clairs, les hommes plus nets. Catherine eut la sensation que, pour faire leur entree, les soldats epuises fournissaient un dernier effort, se redressaient. Les torses se bombaient, les echines courbees sous leur charge de fer reprenaient fiere allure.
— Voila monseigneur Gilles ! s'ecria derriere elle le guetteur. Voyez, Dame, on reconnait bien ses huques violettes. Il monte Casse-noix, son grand destrier noir.
Une fierte vibrait dans la voix de l'homme. Au meme instant, le pont-levis s'abattit a grand fracas, liberant a la fois une enorme ovation et une troupe de soldats et de serviteurs qui, avec des torches et des cris de joie, couraient a la rencontre des arrivants. La cour interieure du chateau etait comme un immense puits de feu dont le rayonnement repoussait la nuit, rejetait la pluie. Le guetteur avait fini par s'accouder aupres de Catherine, les yeux brillants d'enthousiasme.
— Ah ! Il va y en avoir du bon temps, maintenant que monseigneur Gilles est rentre ! Il est dur mais il est genereux, lui, et il aime la vie joyeuse !
Dans ce « lui » il y avait un monde de rancune envers le vieux Craon. Catherine, pourtant, n'y preta pas attention. Elle continuait a scruter les ombres. Mais les gouttes d'eau entraient dans ses yeux, les brouillant comme des larmes.
— Vous qui voyez si clair, dit-elle, pouvez-vous distinguer ceux qui entourent votre maitre ? Pouvez- vous les reconnaitre ?
— Certes, repondit le guetteur tout fier. Je vois messire Gilles de Sille, le cousin de Monseigneur, et le sire de Martigne. Voici le frere de notre maitre, Rene de la Suze, et voici messire de Broqueville...
— Ne voyez-vous point un seigneur en armure noire, avec un epervier au cimier de son casque ?
L'homme scruta la troupe, qui approchait, pendant de longues minutes puis secoua la tete.
— Non, Dame... je ne vois rien de semblable ! D'ailleurs, ils sont assez pres maintenant pour que vous les distinguiez...
En effet, elle pouvait voir, nettement, Gilles de Rais. Malgre la pluie, il chevauchait avec arrogance sous le panache violet trempe d'eau de son casque, en tete de sa cavalerie. Derriere lui, un groupe de seigneurs qu'eclairait maintenant la lueur dansante des torches aux mains des paysans et des valets. Les cris de joie montaient avec l'odeur de la terre mouillee, mais sans trouver d'echo dans le c?ur de Catherine. Elle se laissa aller contre la pierre rugueuse, videe de ses forces mais envahie d'une douleur amere. Arnaud n'etait pas avec ces hommes...
Elle comprenait maintenant que, jusqu'a l'instant ultime et malgre la crainte vague qu'elle avait ressentie de le voir aux mains de Rais, elle avait espere de tout son c?ur le retrouver, retrouver son sourire un peu moqueur, cette facon qu'il avait de plisser les yeux quand il la regardait, retrouver surtout le sur refuge de ses bras... Le guetteur, inquiet de sa paleur, la regardait.
— Dame, murmura-t-il, la pluie redouble et vous etes transie. Voila que vous tremblez. Il faut rentrer.
Il lui tendait une main hesitante tout en decrochant de l'autre une torche pour la guider jusqu'a l'escalier. Elle lui jeta un regard incertain accompagne d'un pale sourire, se redressa.
— Merci... vous avez raison, je vais rentrer. Aussi bien... je n'ai plus rien a faire ici !
Sous le vent qui soufflait en rafales plus dures, elle chancela. Il fallut que le guetteur la soutint jusqu'a l'abri de l'escalier.
Les cris de joie semblaient gonfler tout le chateau, jaillir des murs, eveillant en Catherine la colere en meme temps que le chagrin. Elle ne resterait pas une minute de plus chez cet homme qui avait trompe sa bonne foi. Elle allait le sommer de lui rendre Gauthier, d'ouvrir devant elle les portes de son chateau maudit, de la laisser partir enfin. Et, dut-elle retourner en Normandie, dut-elle affronter Richard Venables avec ses seules mains nues, dut-elle enfin traverser la mer et chercher Arnaud jusque chez l'Anglais, elle etait prete a le faire... A mesure qu'enflait sa fureur, son pas se raffermissait, elle retrouvait le courage, la combativite. Ce fut presque en courant qu'elle devala les dernieres marches de la tour.
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