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Catherine des grands chemins - Бенцони Жюльетта - Страница 20
— Un moment. J'ai encore besoin de votre moine. La moitie de mes hommes vont partir tout de suite, les autres resteront avec moi pour s'occuper de messire Mac Laren. Il a besoin de prieres et il n'y a pas de pretre ici.
Qu'il voulut enterrer chretiennement son chef, c'etait trop naturel, et Catherine ne tenta pas de s'y opposer.
Une fosse serait vite creusee et l'office des morts vite dit. Cela ne la retarderait guere. Justement, a quelque distance, sur le bord meme de la riviere, il y avait une petite chapelle autour de laquelle se montraient quelques croix.
— Votre desir est trop naturel, repondit-elle. Nous attendrons donc que vous ayez celebre les funerailles.
— Ce sera peut-etre plus long que vous ne pensez !
Ce fut, en effet, infiniment plus long et Catherine, malade de degout, vecut la journee la plus interminable de toute son existence. En voyant s'eloigner Scott vers les quelques maisons du hameau, elle pensait qu'il allait a la recherche d'un menuisier pour faire confectionner un cercueil, mais elle le vit revenir, quelques instants plus tard, suivi des quatre hommes demeures avec lui et qui trainaient un enorme chaudron a fromage. Ils installerent le chaudron sur le bord de la riviere, cale par des pierres, le remplirent a moitie d'eau et se mirent a transporter une grande quantite de bois. Quelques paysans, mi-inquiets mi-curieux, les regardaient faire. Debout sous un chataignier, entre Sara et Frere Etienne, Catherine faisait de meme, cherchant en vain a comprendre.
— Qu'est-ce que cela veut dire ? demanda-t-elle au moine. Est-ce qu'ils veulent, avant les funerailles, preparer quelque repas ? Un repas gigantesque alors.
Mais Frere Etienne secoua la tete. Il suivait les preparatifs des yeux sans paraitre autrement surpris.
— Cela veut dire, ma chere enfant, que ce Scott n'a aucunement l'intention de laisser les ossements de son capitaine a la terre d'Auvergne.
— Je ne comprends toujours pas.
— Oh ! c'est fort simple ! Ce grand chaudron va recevoir le corps du lieutenant. On va le faire cuire dedans jusqu'a ce qu'il soit possible de detacher les ossements que notre Ecossais emportera facilement dans un coffre jusque dans son pays. Les chairs seront enterrees sur place, tres chretiennement.
Avec un bel ensemble, Catherine et Sara avaient verdi. La jeune femme porta une main tremblante a sa gorge qui paraissait lui refuser usage, mais, cependant, elle parvint a balbutier :
— C'est immonde ! Ces gens n'ont-ils donc pas d'autres pratiques moins barbares ? Pourquoi ne pas bruler le corps ?
— C'est une pratique honorifique, reprit Frere Etienne tranquillement. On l'emploie quand l'embaumement est impossible ou que le corps a transporter doit parcourir une trop grande distance. Et j'ai le regret de vous apprendre que cette coutume n'est pas specialement ecossaise. Le grand connetable Du Guesclin a subi le meme sort quand il mourut devant Chateauneuf-de-Randon. On l'avait bien embaume, mais, quand le cortege arriva au Puy, on s'apercut que l'embaumement etait insuffisant. On le fit donc bouillir comme Scott va faire aujourd'hui. C'est un grand honneur qu'il entend rendre a son chef... mais si j'etais vous, je ne resterais pas ici.
En effet, le feu flambait sous le chaudron et deux hommes etaient alles chercher le cadavre qu'ils apportaient, solennellement, sur un brancard fait de branches entrecroisees. Epouvantee de ce qui allait suivre, Catherine saisit Sara par la main et l'entraina en courant vers l'auberge tandis que Frere Etienne, glissant ses mains dans ses manches, se dirigeait calmement vers le chaudron. Tout le temps que durerait l'affreuse operation, il dirait les prieres des morts, a genoux, sur le bord de la Dordogne.
L'effrayante cuisine dura tout le jour et, ce jour, Catherine le passa tout entier blottie sous le manteau de la cheminee, dans la salle d'auberge, fixant le feu d'un regard absent, incapable de rien avaler.
Un profond silence regnait dans le hameau. Les paysans, epouvantes, s'etaient barricades chez eux, claquant des dents et implorant sans doute le ciel de leur epargner la fureur de ces hommes sauvages.
L'aubergiste elle-meme n'osa pas sortir de chez elle, Catherine lui avait rapporte les paroles de Frere Etienne et elle savait maintenant qu'il ne s'agissait pas la de quelque infernale pratique de sorcellerie, mais elle avait tout de meme bien trop peur pour mettre le nez dehors.
Tout ce que l'on entendait, c'etait un ordre jete par Scott ou bien les coups de marteau du menuisier qui, enferme chez lui, fabriquait un petit coffre pour les ossements. Sara, aussi terrifiee que Catherine, marmottait des prieres a voix basse, mais la jeune femme etait incapable de prier. L'impression de vivre un cauchemar etait plus aigue que jamais.
Il faisait nuit noire quand tout fut fini. A la lumiere des torches, on enterra les restes de Mac Laren pres de la petite chapelle. Catherine prit sur elle d'y assister ainsi que les paysans qui, a bonne distance, regardaient. Il y avait tant de peur dans leurs yeux que la jeune femme frissonna. Sans la presence du moine, ils n'auraient sans doute jamais laisse Scott pratiquer cet etrange rite et les cinq Ecossais se fussent trouves en face de fourches et de haches.
Lorsque la derniere pelletee de terre fut retombee sur ce qui n'avait plus de nom en aucune langue, mais avait ete un homme jeune et ardent, les Ecossais, visages de bois figes dans une menacante impassibilite, remonterent a cheval puis, sans meme saluer Catherine et les siens, s'enfoncerent de nouveau vers le c?ur des montagnes. A
l'arcon de la selle de Scott, un coffre de bois grossier etait attache.
La nuit etait froide et, quand les hommes eurent disparu, Catherine, Sara et Frere Etienne demeurerent seuls au c?ur de l'obscurite, aupres de la petite chapelle. On ne voyait pas la riviere, mais l'on entendait ses eaux grondantes. Un peu plus loin, les fenetres eclairees de l'auberge avaient l'air de deux yeux jaunes ouverts dans l'ombre. Frere Etienne secoua la torche qu'il avait reprise a un Ecossais et dont le vent arrachait des etincelles.
— Rentrons, maintenant, dit-il.
— Je voudrais partir tout de suite, implora Catherine. Cet endroit me fait horreur.
Je m'en doute, mais il nous faut tout de meme attendre le jour. Nous devons passer la riviere a gue. Elle est grosse et dangereuse. Tenter de trouver le passage dans l'obscurite serait courir a une mort certaine...
et je ne suis pas sur que les gens d'ici viendraient nous tirer de l'eau.
— Alors, attendons le jour dans la salle d'auberge, ne nous separons pas. Je ne pourrais pas retourner dans cette horrible chambre.
L'auberge du Noir-Sarrasin, a Aubusson, avait connu des jours meilleurs, au temps ou la region etait riche et prospere, au temps des grandes foires, au temps, enfin, ou la famine et l'Anglais n'ecrasaient pas le pays. A cette epoque benie, les voyageurs s'y pressaient, se rendant a Limoges, ou l'art merveilleux des emailleurs attirait de grandes foules de marchands. D'autres venaient acheter sur place la laine des moutons du haut plateau. Les feux ronflaient alors tout le jour et les tournebroches ne s'arretaient pratiquement jamais de tourner. Les rires et les cris des buveurs se melaient au claquement joyeux des socques de bois des jolies servantes s'activant de l'aube a la nuit close.
Mais, lorsque Catherine, Sara et Frere Etienne y arriverent, au soir d'une extenuante journee passee tout entiere dans les etendues desertiques et sauvages du plateau de Millevaches, le seul bruit qui se faisait entendre, c'etait le grincement de l'enseigne, jadis peinte de couleurs hardies et maintenant rouillee, qui se balancait a sa potence.
Les guetteurs venaient de corner la fermeture des portes et la petite cite semblait resserrer frileusement ses ruelles etroites et noires dans la gorge qui lui donnait asile comme un avare enferme son tresor. La-haut, sur son rocher, le vieux chateau vicomtal tassait ses courtines croulantes et ressemblait a quelque gros chat melancolique, roule en boule et pret a s'endormir. Peu de monde dans les rues. Les gens qui passaient hataient le pas, jetant aux trois voyageurs un regard alarme qui devenait indifferent en constatant qu'il s'agissait seulement de deux femmes et d'un moine.
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