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Catherine et le temps d'aimer - Бенцони Жюльетта - Страница 98
! tout de suite !
— Mais... pourquoi ?
Elle le lui dit, en quelques mots, et la joie qui illuminait le visage tanne du marchand s'assombrit.
— Pauvre Gauthier ! murmura-t-il. Il etait donc mortel ?... J'avoue que je ne l'aurais pas cru... Nous allons tout de suite le transporter a bord, afin qu'il rende le dernier soupir sur le sol de son pays... meme un sol en bois sera mieux que cette terre !
Se tournant vers ceux qui l'accompagnaient, un petit homme a la mine eveillee qui etait une sorte de secretaire si l'on en jugeait l'ecritoire pendue a sa ceinture avec un petit rouleau de parchemin, et le seigneur en turban, muet et immobile, comme indifferent qui se tenait derriere lui, il s'adressa a celui-ci :
— Seigneur Ibrahim, vous voici chez vous ! Je n'ai plus a discuter votre liberation puisque, du premier coup, j'ai retrouve mes amis.
Vous etes donc libre.
Merci de ta courtoisie, ami.... Je savais que je n'avais rien a craindre de toi, mais tu as ete un geolier comme bien peu de prisonniers en ont. Voila pourquoi je te suivais sans apprehension.
— J'avais votre parole de ne pas fuir et j'y croyais ! repondit le marchand noblement. Adieu, seigneur Ibrahim !
Le prisonnier salua profondement, et rapidement se perdit dans la foule que Mansour et ses hommes faisaient maintenant refluer afin de livrer passage a la litiere. Les marins de Jacques C?ur eurent tot fait d'enlever, avec beaucoup de precautions cependant, le mourant, maintenant inconscient sans plus de remissions. Le soleil eclatant eclaira le visage emacie, creuse d'ombres tragiques, que les hommes regarderent avec une sorte de crainte superstitieuse. On le porta dans la barque ou Abou s'installa aupres de lui.
— Je resterai tant qu'il respirera, expliqua-t-il. Au i surplus, vous ne mettez pas a la voile immediatement ?
— Non, repondit Jacques C?ur. Apres-demain seulement.
Puisque je suis ici, je voudrais en profiter pour charger des soieries et des meubles incrustes, des epices et des cuirs travailles, des poteries dorees et de ces beaux parchemins en peau de gazelle du Sahara dont ce pays a la specialite...
Catherine retint un sourire. Jacques etait venu les chercher, certes, et portait flamme d'ambassadeur, mais en lui les sentiments ne tuaient jamais le marchand. Ce voyage entrepris par amitie ne devait pas etre perdu pour autant...
Tandis que la barque, emportant le blesse, s'eloignait vers le navire d'ou elle reviendrait les chercher ensuite, et qu'Arnaud faisait a Mansour de graves adieux, elle demanda :
— Au fait, mon ami, comment avez-vous appris que nous etions, ici ?
C'est une longue histoire. Mais, en deux mots, vous devez notre arrivee a votre vieille amie, la dame de Chateauvillain. Vous l'avez abandonnee, parait-il, en pleine montagne, mais vous aviez laisse entre ses mains un ecuyer de messire Arnaud qu'elle a fort bien su confesser. Aussitot, elle a fait demi-tour, couru jusqu'a Angers, chez la duchesse-reine, et lui a raconte toute l'histoire. C'est Madame Yolande qui m'a prevenu et qui a monte avec moi ce voyage.
— Incroyable ! s'ecria Catherine abasourdie. Ermengarde qui voulait me ramener pieds et poings lies a son duc ?
— Peut-etre ! tant qu'elle a cru sincerement que ce serait pour vous la meilleure solution. Mais du moment que vous vous obstiniez a poursuivre messire Arnaud... elle s'est attachee a vous aider. Elle veut, avant tout, votre bonheur et vous n'avez pas idee du vacarme qu'elle a fait jusqu'a mon depart ! J'ai eu d'ailleurs toutes les peines du monde a ne pas l'emmener !
— Chere Ermengarde ! soupira Catherine avec une involontaire tendresse. C'est une femme extraordinaire. En tout cas, l'aventure etait risquee. Comment pouvait- elle etre sure que je retrouverais Arnaud, et meme que je parviendrais saine et sauve a Grenade ?
Jacques C?ur haussa les epaules et grimaca un sourire moqueur.
— Il se trouve qu'elle vous connait bien ! Si votre epoux avait ete captif au plein c?ur de l'Afrique, vous auriez bien trouve moyen d'aller l'en arracher. Evidemment, conclut-il, cela m'aurait fait plus de chemin a parcourir...
A l'heure la plus noire de la nuit, celle qui precede immediatement l'aube, Gauthier mourut dans la chambre haute du chateau arriere ou Jacques C?ur l'avait fait installer, le visage tourne vers cette haute mer qu'il ne parcourrait pas... L'agonie avait ete terrible ! L'air n'atteignait plus qu'avec peine les poumons endommages et la constitution du geant, ses forces vives extraordinaires prolongeaient l'epuisant combat perdu d'avance contre la mort, ne faisant que le rendre plus cruel.
Enfermes avec lui, Catherine, Arnaud, Abou-al- Khayr, Josse, Marie et Jacques C?ur assisterent, impuissants et navres, a cette lutte, epuisante et supreme que menait Gauthier, inconscient, pour une vie qui ne voulait plus de lui. Serres les uns contre les autres, les traits marques par la fatigue et creuses par les ombres mouvantes nees des quinquets fumeux allumes dans la piece, ils priaient pour que se tut enfin cette voix torturee qui, dans un langage inconnu, lancait des plaintes, des imprecations, des invocations vers les mysterieuses divinites nordiques que le Normand avait adorees toute sa vie. Au-dehors, l'equipage, masse, attendait sans comprendre cependant conscient qu'un drame se deroulait dans la chambre close.
Enfin, il y eut une ultime convulsion, un soupir qui ressemblait a un rale et le gigantesque corps ne bougea plus. Un silence ecrasant, que ne troublait plus la terrible respiration, s'abattit. Le navire a l'ancre, dont le doux balancement avait berce l'agonie du geant, grinca sinistrement avec une plainte a laquelle repondit le cri rauque des oiseaux de mer.
Catherine, alors, comprit que tout etait fini. Etouffant un sanglot, elle posa deux doigts legers sur les paupieres ouvertes, fermant pour l'eternite les yeux de son ami, puis retourna se refugier aupres d'Arnaud qui l'attira contre lui pour qu'elle put cacher son visage en pleurs. Pour secouer l'emotion qui l'etreignait, Jacques C?ur toussa.
— Tout a l'heure, quand le soleil sera leve, nous l'immergerons !
dit-il. Je dirai les prieres..
— Non, s'interposa Abou-al-Khayr... il m'a fait promettre de veiller a ses funerailles. Pas de prieres, mais je te dirai ce qu'il faut faire.
— Alors, venez avec moi. Nous allons donner des ordres.
Les deux hommes sortirent et Catherine put entendre la voix de Jacques qui, de la dunette, donnait des ordres suivis du pietinement precipite de l'equipage. Elle chercha le regard de son epoux, mais, deja, il la prenait par la main et l'entrainait vers le lit ou gisait Gauthier. L'un pres de l'autre, Catherine et Arnaud s'agenouillerent pour prier, de tout leur c?ur, le Dieu de toute misericorde pour un homme de bien qui n'avait jamais cru en lui. Silencieusement, Josse et Marie vinrent s'agenouiller de l'autre cote... et malgre sa peine Catherine nota que, si le Parisien avait les yeux brillants de larmes, sa main ne quittait pas celle de la petite Marie qu'il semblait avoir prise sous sa protection. Elle songea que c'etait la, peut-etre, le depart d'un bonheur inattendu et que, venus des horizons les plus differents, ces deux-la etaient en train de se rejoindre. Mais la voix grave d'Arnaud s'elevait maintenant, recitant les prieres des morts, et Catherine joignit la sienne a celle de son epoux.
Trois heures plus tard, devant tout l'equipage de la « Magdalene »
masse sur le pont, au son de la cloche du bord qui, sans arret, sonnait en glas, Arnaud de Montsalvy proceda, sur les indications d'Abou-al-Khayr, a une etrange ceremonie. Le navire, lentement, gagna l'entree du port, remorquant apres lui une barque a voile chargee de paille sur laquelle le corps du Normand, enveloppe d'une toile, avait ete depose.
A l'aplomb de la tour d'avant-port, Montsalvy sauta dans la barque, hissa la voile que le vent aussitot gonfla, puis, s'accrochant a la corde qui retenait au vaisseau le frele esquif, regagna la « Magdalene ». Une fois a bord, il coupa la corde. Comme poussee par une invisible main, la barque bondit, prit le vent et, rapidement, depassa la coque rouge de la galee dont les rames demeuraient inertes. Un instant, ceux du navire la regarderent avancer, emportant la longue forme blanche. Alors, Arnaud, prenant des mains d'Abou un grand arc de frene, y placa une fleche empennee de feu, banda ses muscles... La fleche siffla, alla se planter au plein c?ur de la barque dont la paille prit feu aussitot. En un instant, le petit navire devint une nef de flammes. Le corps disparut derriere un rideau de feu tandis que le vent, activant le brasier, l'emportait lentement vers le large...
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