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Catherine et le temps d'aimer - Бенцони Жюльетта - Страница 93
— La route sera rude, commenta Josse de l'autre cote de la litiere.
Nous devrons franchir de hautes montagnes. Mais, d'autre part, il est plus facile de s'y defendre.
Un commandement brutal claqua dans la nuit et la troupe s'arreta.
Aussitot inquiete, Catherine ecarta le rideau apres un coup d'?il plein d'apprehension du cote d'Arnaud. Mais il dormait toujours, insensible, bienheureusement, aux evenements exterieurs. L'epaulement rocheux s'etait efface. Grenade etait redevenue visible. Visible aussi le palais d'Amina ou les lampes brulaient aux creneaux des blanches murailles.
La voix de Mansour parvint a Catherine, chargee d'une involontaire inquietude.
— Il etait temps ! Regardez !
Une troupe de cavaliers aux manteaux blancs, portant des torches qui, au vent de la course, semaient la nuit d'etincelles, franchissaient au grand galop le pont romain et, dans un nuage de poussiere, freinaient devant le portail de l'Alcazar Genil. En tete, l'etendard vert du Calife brillait au poing d'un alferez. Toute la troupe s'engouffra dans les lourdes portes ouvertes... Catherine eut un frisson. Il etait temps, en effet ; quelques minutes de plus au palais et tout recommencait : le cauchemar, la peur et, pour finir, la mort !
De nouveau, la voix de Mansour :
— Nous sommes trop loin pour etre vus ! Beni soit Mahomet car nous eussions ete un contre cinq !
Catherine passa la tete a travers le rideau, chercha la haute silhouette du chef.
— Et Amina ? demanda-t-elle. Ne risque-t-elle rien ?
— Que pourrait-elle craindre ? On ne trouvera rien chez elle. Les vetements de mes hommes sont deja enterres dans le jardin et il n'est pas un de ses serviteurs ou de ses femmes qui ne preferat se couper la langue plutot que la trahir. Et meme si Muhammad la soupconne de m'avoir aide, il est a cent lieues d'imaginer qu'elle ait pu vous secourir et ne tentera rien contre elle. Le peuple l'adore et je crois qu'il l'aime toujours. Pourtant, conclut-il dans une brusque explosion de rage, il faudra bien qu'il me la rende un jour ! Car je reviendrai ! Je reviendrai plus puissant que jamais et, ce jour- la, je le tuerai ! Par Allah, mon retour verra son dernier moment !...
Sans plus rien ajouter, le prince rebelle cravacha son cheval et se lanca a l'assaut du premier contrefort de la sierra. La troupe s'ebranla en silence a sa suite, mais a une allure infiniment plus raisonnable.
Catherine laissa retomber le rideau. A l'interieur de la litiere, l'obscurite etait totale et la chaleur si lourde qu'Abou-al-Khayr ecarta les rideaux d'un cote et les assujettit.
— Nous ne risquons pas d'etre reconnus. Autant respirer !
chuchota-t-il.
Dans l'ombre plus claire, Catherine vit briller ses dents, comprit qu'il souriait et reprit courage a ce sourire. Sa main chercha anxieusement le front d'Arnaud. Il etait chaud mais d'une chaleur moins seche que tout a l'heure. Un peu de sueur y perlait tandis que son souffle demeurait regulier et puissant. Il dormait bien. Alors, Catherine, avec au fond du c?ur quelque chose qui ressemblait au bonheur, se pelotonna en boule aux pieds de son epoux et ferma les yeux.
L'attaque se produisit deux jours plus tard, au plein c?ur de la Sierra, vers le coucher du soleil. Les fuyards avaient remonte la haute vallee du Genil et suivaient, au flanc d'une gorge profonde dans laquelle ecumait le torrent, un chemin en corniche montant vers le col.
La temperature, torride a la hauteur de Grenade, s'etait considerablement rafraichie. La neige etait proche et le sentier semblait vouloir percer un cirque aux parois quasi verticales que dominaient trois enormes sommets. Mansour avait designe le plus imposant.
— On l'appelle le Mulhacen parce qu'il renferme le tombeau cache du Calife Moulay Hacen. Seuls y vivent les aigles, les vautours et les hommes de Faradj le Borgne, un bandit fameux.
— Nous sommes trop puissants pour craindre un bandit ! avait observe Gauthier avec dedain.
— Savoir !... Quand Faradj a besoin d'or, il lui arrive de se mettre au service du Calife et, renforce de gardes- frontieres, il devient redoutable.
Les derniers rayons obliques du soleil eclairaient bien les burnous blancs et les casques dores des faux gardes du Calife qui, sur les rochers noirs, se detachaient en haut relief. Et, tout a coup, des hurlements feroces retentirent, si percants que les chevaux broncherent. L'un d'eux se cabra, desarconna son cavalier qui, avec un cri d'agonie, tomba au fond de la gorge. De derriere chaque rocher, un homme surgit... et la montagne tout entiere parut s'animer, s'ecrouler sur la petite troupe. C'etaient des montagnards mal vetus, deguenilles meme, mais leurs alfanges luisaient plus encore que leurs dents aigues. Un petit homme maigre et contrefait, portant a son turban sale un bouquet de plumes d'aigle et un bandeau crasseux sur l'?il, les menait a l'attaque en poussant d'affreux glapissements.
— Faradj le Borgne ! hurla Mansour. Groupez-vous autour de la litiere !
Deja les cimeterres brillaient aux poings des guerriers ; Gauthier, poussant son cheval, rejoignit le chef pour combattre pres de lui, criant a Josse :
— Protege la litiere !
Mais les rideaux de celle-ci volaient plus qu'ils ne s'ecartaient.
Arnaud en surgit, repoussant brusquement Catherine qui tentait de s'accrocher a lui, le suppliant de ne pas bouger.
— Une arme ! cria-t-il. Un cheval !
— Non ! hurla Catherine. Tu ne peux pas te battre encore... Tu es trop faible...
— Qui a dit cela ? Crois-tu que je vais les laisser s'etriper avec ces mecreants sans prendre ma part du combat ? Rentre la-dedans et n'en bouge pas ! ordonna- t-il rudement. Et toi, ami Abou, veille sur elle et empeche-la de faire des sottises !...
Avec une impatience rageuse, il arrachait les voiles bleus qui l'enveloppaient, ne conservant que le volumineux pantalon de mousseline et le bolero trop petit pour ses larges epaules.
— Un cheval ! Une arme ! repeta-t-il.
— Voila une arme, fit calmement Josse en lui tendant son propre cimeterre. Vous saurez mieux que moi vous servir de ce tranchoir.
Quant au cheval, prenez le mien.
— Et toi ?
— Je vais recuperer le cheval du cavalier qui a fait le grand saut.
Ne vous tourmentez pas.
— Arnaud ! cria Catherine avec angoisse. Je t'en supplie...
Mais il ne l'ecoutait pas. Il avait deja saute en selle et, pressant le flanc de la bete de ses talons nus, rejoignait Mansour et Gauthier, engages dans un combat furieux a un contre dix. Son arrivee produisit l'effet d'une bombe. Ce grand gaillard en vetements feminins, empetre de mousselines bleues, qui attaquait en poussant des cris affreux, causa chez l'ennemi une stupeur dont Mansour, reprimant une bonne envie de rire, profita. Quant a Catherine, le spectacle eut raison, un instant, de ses craintes, et elle se mit a rire, franchement, joyeusement
: Arnaud, avec ses pantalons-jupes, etait irresistible ! Mais ce ne fut qu'un instant. Bientot Catherine, se laissant retomber sur ses coussins, jetait a Abou un regard de noyee.
— Il est fou ! soupira-t-elle. Comment pourrait-il supporter ce combat, alors qu'il y a seulement deux jours...
— Pendant deux jours, il a mange, il a bu, il s'est repose,, fit le petit medecin qui roulait calmement entre ses doigts les grains polis d'un chapelet d'ambre. Ton epoux est d'une vigueur peu commune. Tu ne pensais pas serieusement qu'il pourrait ecouter sans broncher le fracas des sabres ? Les cris feroces de la guerre sont, a ses oreilles, comme le chant si doux du luth et de la harpe.
— Mais... ses mains ?
— Les blessures, tu l'as vu, se referment. Et il sait bien, si son sang coule de nouveau, que je l'arreterai une fois encore.
Et, avec un sourire encourageant, Abou-al-Khayr se remit a invoquer silencieusement Allah et Mahomet, son prophete, pour l'issue du combat dont Catherine, oubliant son acces de gaiete passagere, suivait maintenant les phases avec terreur. Les brigands semblaient une multitude. Ils fourmillaient, enveloppant les cavaliers de Mansour d'une foret d'eclairs, mais les hommes du desert et du Grand Atlas savaient se battre au moins aussi bien que les bandits de la Sierra. Ils formaient un groupe aussi solide qu'un rocher autour de la litiere et Catherine etait au centre d'un tourbillon flamboyant d'armes. Un peu plus loin, Mansour, Arnaud et Gauthier combattaient vaillamment.
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