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Catherine et le temps d'aimer - Бенцони Жюльетта - Страница 62
— Un moment encore, pria Catherine. Laisse-moi dire adieu a Fatima.
— Tu la reverras. Il arrive que l'on fasse appel a ses soins au harem. Elle connait des secrets de beaute et d'amour qui font merveille.
Mais, Fatima, qui avait entendu, faisait glisser son or dans un sac en peau de chevre et rejoignait les deux femmes. Avec des gestes presque maternels, la grosse negresse arrangea le voile de Catherine qui en profita pour lui glisser subrepticement le message pour Abou.
Puis, lui souriant d'un air encourageant :
— Va vers ton destin, Lumiere de l'Aurore. Mais, quand tu seras la bien-aimee, le joyau precieux du Calife, souviens-toi de Fatima...
— Sois tranquille, promit Catherine jouant le jeu jusqu'au bout. Je ne t'oublierai jamais...
Elle etait sincere en disant ces mots. Il n'etait pas possible d'oublier les jours bizarres, mais, a tout prendre amusants, qu'elle avait passes chez l'Ethiopienne. Et puis, Fatima avait ete bonne pour elle, meme si elle l'avait fait par interet.
On amena deux mules blanches, harnachees de cuir rouge et toutes bruissantes de sonnailles et de grelots sur lesquelles Catherine et son nouveau mentor prirent place. Puis, d'une ruelle voisine ou ils attendaient, quatre Nubiens maigres, vetus de blanc jusqu'aux yeux, apparurent, appeles par un sec claquement de mains de Morayma. Ils encadrerent les deux femmes apres avoir tire de leurs fourreaux leurs cimeterres a large lame courbe. Et le cortege se mit en route.
La chaleur etait maintenant ecrasante. L'air brulant vibrait et, la-haut, dans le ciel presque blanc, les rayons de l'impitoyable soleil incendiaient les toits de la ville. Mais Catherine ne s'apercevait meme pas de la temperature. Au comble de l'excitation, elle pensait seulement a ce palais dont, enfin, elle allait franchir le seuil. La distance qui la separait d'Arnaud se retrecissait encore. Tout a l'heure, elle l'avait vu. Maintenant, elle allait essayer de lui parler, de l'entrainer avec elle sur le chemin du retour au pays.
Ce chemin du retour, elle ne cherchait meme pas a l'imaginer.
Pourtant, que de difficultes n'allait-il pas presenter ? En admettant qu'ils parviennent a fuir le palais, il faudrait encore atteindre la frontiere du royaume. Et, meme cette frontiere une fois franchie, seraient-ils sauves de la vengeance de Zobeida, a l'abri de ses coups ?
Certes pas. Il faudrait mettre des lieues entre eux et leurs poursuivants
; les rapides cavaliers de Muhammad ignorant trop souvent les limites du royaume de Castille pour s'en soucier cette fois-la.
Ensuite, il faudrait refaire tout le dangereux chemin a travers les Castilles, retrouver peut-etre des embuches plus mortelles que celles rencontrees a l'aller... Puis, passer les Pyrenees et leurs bandes de brigands, et... Non. Tout cela n'avait que peu d'importance : une seule chose comptait : reconquerir l'amour d'Arnaud ! Ce qui pouvait venir apres n'interessait pas Catherine.
En franchissant, derriere Morayma, l'arc rouge de Bab-el-Ajuar, Catherine ne put reprimer un frisson de joie. Les Nubiens de garde n'avaient pas paru s'interesser a leur passage...
On suivit ensuite un sentier qui serpentait a travers un vallon rafraichi d'eaux courantes, ombrage d'oliviers au feuillage argente, et grimpant assez raide vers une haute porte dont l'arc outrepasse se decoupait au plein d'une grosse tour carree sans creneaux. Cet imposant portail, ouvert dans la deuxieme enceinte de murailles, constituait l'entree proprement dite des palais. En approchant, Catherine remarqua, sculptee a la clef du fer a cheval de brique, sur une plaque de marbre blanc, une main levee droit vers le ciel.
— C'est la Porte de la Justice ! La main symbolise les cinq preceptes du Coran ! commenta Morayma. Et ces tours que tu vois, non loin d'ici, sont celles des prisons.
Elle n'en dit pas plus. Catherine apprecia cependant le renseignement a sa juste valeur. Cela ressemblait trop a une mise en garde, presque une menace. Menace aussi cette formidable porte a deux battants, doublee de fer et armee de clous enormes, trouant l'obscurite du profond porche et gardee de cavaliers vetus de mailles luisantes sous un burnous pourpre, le casque a longue pointe enfonce jusqu'a leurs yeux farouches. Quand un ordre du Seigneur en fermait l'issue, il devait etre impossible de franchir ces epaisses murailles. Le palais rose, et aussi la ville en reduction qu'enserraient ses remparts -
on distinguait maintenant des maisons, des moulins et les sept coupoles dorees, flechees d'un immense et fragile minaret, d'une imposante mosquee - devaient savoir se refermer comme un piege qui ne lachait pas facilement prise... a moins, peut-etre, de decouvrir cette mysterieuse porte par laquelle entraient les amants d'une nuit de Zobeida ! Mais n'etait-ce pas autre chose qu'une legende ? Les cadavres trouves dans les fosses pouvaient fort bien avoir ete precipites du haut des tours. Sans que l'on ait eu besoin d'employer le legendaire escalier des amants.
Les yeux aigus de Catherine cherchaient deja, preuve que son ame se sentait moins sereine qu'elle ne voulait bien l'admettre, une issue plus secrete a ce palais superbe et menacant, attirant et dangereux comme une fleur veneneuse. Elle baissa cependant les paupieres pour ne pas voir les tetes sanglantes, certaines encore fraiches, plantees sinistrement a des crochets fiches dans la muraille. Mais, au moment de franchir le seuil de ce monde inconnu, la jeune femme sentit une main de glace etreindre son c?ur. Elle chercha sa respiration jusqu'au fond de ses entrailles, serra les dents, fixant le dos voute de Morayma sous ses absurdes fleurs vertes. Il ne fallait pas flancher... plus maintenant et surtout pas pour quelque chose d'aussi vil qu'une peur animale ! Elle avait trop voulu cet instant...
Et puis, miraculeusement, quelque part dans l'epaisseur odorante des jardins encore invisibles, un rossignol chanta, lancant vers le ciel incandescent quelques notes pures comme une source de montagne.
Un rossignol a cette heure du jour, au fort de cette lourde chaleur ?...
Le c?ur pesant de Catherine s'allegea. Elle y vit un presage heureux et, talonnant sa mule, elle rejoignit Morayma qui avait pris un peu d'avance.
La fraicheur brutale d'un tunnel, un coude, un chemin montant accable de soleil, puis, au tournant, la grace orientale de deux hautes portes, en equerre. Morayma, qui avait attendu Catherine en haut du chemin, lui designa celle qui s'ouvrait de front.
— La porte Royale. Elle ouvre sur le Serail, le palais du Calife.
Nous prendrons plutot celle-ci, la Porte du Vin, pour gagner directement le harem en traversant la ville haute, la cite administrative d'Al Hamra.
Mais, comme le regard de Catherine s'attardait a la muraille, reliant trois donjons pourpres, qui s'elevait sur la gauche, la vieille eut un mince sourire.
Tu ne viendras jamais dans cette partie-ci. C'est l'Alcazaba, la forteresse qui fait Al Hamra imprenable. Vois cette enorme tour qui, la-bas, domine le ravin ! Admire en elle la puissance de ton futur maitre. C'est le Ghafar, la piece maitresse de notre defense. Bien souvent, la nuit, tu entendras sonner la cloche qui le surmonte. Ne t'en effraye pas, Lumiere de l'Aurore. Cela ne signifie pas un danger, mais seulement le temps d'irrigation de la plaine que la cloche regle pendant la nuit... Allons vite maintenant, la chaleur se fait intolerable et je veux que tu sois fraiche pour les yeux du Maitre...
Catherine fremit. Apparemment, on ne lui laisserait pas beaucoup le temps de respirer avant de la presenter au Calife. Mais, en cette matiere comme en quelques autres, elle etait decidee a laisser les evenements jouer leur role et a les exploiter simplement au mieux.
La longue piscine aux mosaiques d'azur et d'or du harem baignait dans une atmosphere brumeuse et parfumee lorsque Catherine, poussee par Morayma, y penetra, les yeux encore lourds de sommeil.
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